Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 avril 2017 1 10 /04 /avril /2017 11:35
Editorial Avril 2017

20 février 1847

Ce jour-là, après un dîner chez Adolphe Moreau, grand ami et collectionneur de Delacroix, ce dernier est accompagné d'un autre grand peintre de l'époque, Thomas Couture (ci-dessus : autoportraits des peintres vers 1840). Delacroix écrit dans son Journal : « Il raisonne très bien. Il est surprenant quel regard nous avons pour caractériser les défauts des autres. Tout ce qu'il m'a dit de chacun est très vrai et très fin, mais il ne tient pas compte des qualités, surtout il ne voit et n'analyse, comme tous les autres, que des qualités d'exécution. »

De son côté, Couture appréciait mal l'art de Delacroix : « Intelligent et insuffisant tout ensemble, la médiocrité de son faire lui constitue une fausse originalité. » (Revue libérale du 10 avril 1867)

Couture croyait dans le travail, l'imagination et le talent. Comme Delacroix. Pourtant ils ne s'appréciaient guère. Pourquoi ?

Sur le travail. Delacroix et Couture étaient connus comme étant des acharnés de travail. Couture disait notamment « Boileau nous dit « sur le métier, vingt fois remettez votre ouvrage ». Ce conseil me tout semble tout sucre car pour moi, ce n'est pas vint, c'est cent, c'est mille, c'est une lutte acharnée qui me fait souvent l'ennemi d'une œuvre trop rétive... » Il disait aussi : « si par une longue pratique du dessin on se rendait bien maître de ses places, on diminuerait le nombre de retouches à faire et si par des études d'après nature pour la coloration, on arrivait à peindre l'exacte composition de certains tons, on pourrait alors ne frapper qu'une fois et frapper juste ». Et encore : « Rubens a mis un admirable instinct au service de sa science. Nous le voyons faire de fortes études jusqu'à trente-deux ans , et ce n'est qu'à cet âge qu'il commence son immense production. Il sentait, lui qui est l'expression de la vie dans toute son exubérance, qu'il fallait marcher sans hésitation ; pour cela, il était nécessaire d'avoir des moyens certains. »

Sur l'imagination. On sait combien Baudelaire louait le pouvoir d'imagination de Delacroix qui parle dans son Journal,  le 19 février 1847, la veille de sa rencontre avec Couture, de "l'homme d'imagination dans son travail d'élever le modèle jusqu'à l'idéal qu'il a conçu". Et Couture disait : «  L'homme doué et moins savant ne court pas après la science car il trouve en soi-même les ressources pour rendre ses impressions » Et dans une lettre à un ami  : « Et vous, Gros, mon divin Maître, toujours une sublime pensée éclate dans vos immortelles toiles : « Aboukir » nous montre un pacha blessé ; dans l'impossibilité de se défendre, il n'a plus qu'à se rendre, mais il aime mieux la mort ».

Sur le talent. Dans son journal Delacroix rend compte de sa discussion avec Couture à propos de Géricault le soir du 20 février 1847 : « Je lui ai dit comment Géricault se servait du modèle, c'est-à-dire librement, et cependant faisant poser rigoureusement. Nous nous sommes récriés l'un et l'autre sur son immense talent ! Quelle force que celle d'une grande nature tire d'elle-même ! Nouvel argument contre la sottise qu'il y a à résister et à se modeler sur autrui. »

Le différent entre les deux artistes semble donc porter non sur les qualités de l'artiste mais sur l'importance accordée à ces différentes qualités, sur l'exécution en particulier. Baudelaire a bien expliqué cela à propos de Corot qui s'est opposé lui aussi, comme Delacroix, aux « Classiques » : « Tous les demi-savants, après avoir consciencieusement admiré un tableau de Corot, et lui avoir loyalement payé leur tribut d’éloges, trouvent que cela pèche par l’exécution, et s’accordent en ceci, que définitivement M. Corot ne sait pas peindre. — Braves gens! qui ignorent d’abord qu’une œuvre de génie — ou si l’on veut — une œuvre d’âme — où tout est bien vu, bien observé, bien compris, bien imaginé — est toujours très-bien exécutée, quand elle l’est suffisamment — Ensuite — qu’il y a une grande différence entre un morceau fait et un morceau fini — qu’en général ce qui est fait n’est pas fini, et qu’une chose très-finie peut n’être pas faite du tout — que la valeur d’une touche spirituelle, importante et bien placée est énorme…, etc…, d’où il suit que M. Corot peint comme les grands maîtres » (critique du Salon de 1868)

www.galeriedequelen.com

Partager cet article
Repost0

commentaires